Toutes les vidéos sont tournées avec le caméscope de mes parents, qu’iels utilisaient il y a plusieurs années pour filmer mes sœurs, mon frère et moi lorsque nous étions enfants. Ici, le corps et l’image répondent à la problématique d’un espace particulier, celui de la première génération d’une famille à naître et à être élevée dans un pays occidental - mes parents ayant quitté le Liban à la fin des années 80 pour fuir la guerre civile.
Ainsi est provoqué un inframince: concept, phénomène, dimension, sentiment redéfini pour lui apporter un aspect subjectif d’un point de vue racisé, et en saisir l’épaisseur de la distance, des écarts culturels qui construisent une identité.
L’inframince culturel se vit par des sensations. L’inframince culturel se vit par des temps d’écart plus ou moins petits. L’inframince culturel s’active de manière arbitraire dans des moments de décalages plus ou moins grands. L’inframince culturel est révélé par la volonté de s’émanciper des projections virtuelles nourries à la fois par les filtres culturels, religieux mais aussi par la discrimination positive et la fétichisation d’un corps racisé. L’inframince devient perceptible par la juxtaposition des vidéos qui n’ont pas de lien visuel direct.
Pour saisir son épaisseur, j’évoque le tabou de l'intimité -par l'exhibition du désir, du corps, et de ce qui serait considéré comme étant péché- mais aussi les doutes et les peurs liés au bagage culturel d'un passage que je n'ai pas traversé moi-même, mais dont j’hérite.
Les actions présentées ont été réalisées sur plusieurs mois au sein même de mon quotidien. La caméra est une invitée performante et parfois même une voyeuse. Elle performe en continu, gravitant autour de situations intimes allant de la transmission d’une cuisine libanaise, à une libération du corps désinhibé et sexualisé, en passant par des instants ou moments provoquant visuellement le sensible. La performance apparaît dans des moments intimes, activés par le medium de la vidéo, à des moments arbitraires, vécus, et choisis.
Elles se présentent sous la forme d’un « album vidéo » gravé sur un DVD, contenant 16 vidéos. En traversant la gravure sur disque, l’image devient corps, à la fois armure, interface mais aussi abîme et reflet profond des blessures. L’image est captée sur cassette, puis numérisée, montée, convertie, et enfin gravée. Tout comme les blessures, elle reste ancrée. Le glitch témoigne une transmission obsolète, modifiée, réappropriée par l’objet final. Comme si la copie se rebellait pour exister de manière autonome.
Je propose une succession d’images, comme une succession de mots, qui font plus appel au spectre qu’au figural, faisant référence au tabou, pour faire douter, pour suggérer mais ne pas dire.
Je dis, sans dire. Et la censure devient un choix.
extrait vidéo sur TV
ccan_i_call_you_habibi?_you_can, menu DVD, 2022
can_i_call_you_habibi?_you_can, DVD, 2022
can_i_call_you_habibi?_you_can, extraits vidéos 7, 8 et 14, 2022